Je n’ai jamais reçu de ma famille une quelconque influence artistique. A la maison, l’art n’avait pas d'importance. Les seuls signes artistiques se matérialisaient par le calendrier des PTT accroché au dessus du bureau de mon père et le fait qu’il repeignait la cuisine tous les deux ans. En dehors de cela, l’art sous toutes ses formes était banni, car jugé inutile. Pratiquer un art quel qu'il soit était considéré comme une perte de temps, être un artiste ne pouvait pas faire bouillir la marmite et pour aimer l’art, il fallait au moins le comprendre.

Cependant, en cherchant bien, il y avait un artiste dans la famille. Un oncle par alliance du côté de mon père qui se produisait dans les music-halls. Il était doté d’un double estomac. Cette malformation lui permettait de réaliser un numéro visuel consistant à boire le contenu d’un aquarium, soit plusieurs litres d’eau et les poissons. Le tout était ensuite régurgité dans les coulisses. Sa femme, la sœur de mon père, habillée en tutu lui servait « d’écuyère ». C’était la branche saltimbanque de notre famille.

Depuis toujours, je me trimballe avec un appareil photo accroché à l’épaule. C’est ma façon de vivre. Même si je dois me rendre dans un lieu sans intérêt, mon appareil m'accompagne. Enfant, j'avais toujours une dinky-toy à la main pour faire face à un éventuel moment de solitude. Quand on est adulte, avoir une dinky-toy à la main peut paraître curieux, tandis qu’un appareil photo reste dans le domaine de l'ordinaire.

Ce n’est pas parce que j’ai mon appareil avec moi que je prend des photos, mais j’ai constaté que c’est dans les rares moments où je ne l’ai pas qu'il se passe quelque chose.  

Aujourd'hui, les appareils photo se sont alourdis, ou bien mon épaule est plus sensible au port de la besace, mais je persiste, c'est vital pour moi. Sortir sans appareil, c'est comme sortir tout nu, ce n'est pas convenable ; sans lui, j’ai peur d’être surpris par une image qui me prendrait au dépourvu ;o)